Article 5 : « ATTENTION AUX PUCES DANS VOTRE LOGEMENT »

Vous craignez à juste titre les puces et vous ne voulez pas qu’elles infectent votre logement. Je vous propose des gestes simples et des solutions à portée de main : un spray à base d’eau, de vinaigre, de jus de citron et bien sûr d’hamamélis ; le bicarbonate de soude ou le sel à saupoudrer sur vos tapis, tissus et meubles ; la terre de diatomée qui provoque la déshydratation des puces. De multiples plantes comme le romarin, la menthe, le chrysanthème ou la lavande sont aussi des répulsifs naturels. Et puis, pour les textiles, le lavage à 60° est recommandé, sauf, naturellement, pour votre pull en cachemire.

La traque sans merci de tels insectes dans votre logement vous parait indispensable. Mais qu’en est-il de l’invasion, depuis les années 90, dans votre appartement ou votre maison d’un nouveau genre de puces, les puces électroniques propulsées par la domotique et les objets et systèmes domestiques connectés au nom du concept de « smart home » ?

Ces puces électroniques ne piquent pas mais elles génèrent d’innombrables perversités. Voici quelques exemples courants :

  •  ne pas pouvoir entrer dans son immeuble à l’occasion d’une coupure d’électricité dans le quartier, la serrure électrique de la porte ne disposant pas de procédure d’ouverture manuelle ;
  •  constater que le logiciel du boitier de commande à distance de sa fenêtre de toit à motorisation électrique cesse de fonctionner lors d’un simple changement de pile. Plus de commande, plus de fonctionnement du moteur électrique et l’obligation d’une échelle pour ouvrir manuellement la fenêtre ;
  •  subir l’impossibilité de remplacer du boitier externe récent de visiophonie et d’ouverture à distance de votre porte d’entrée au prétexte que le modèle ne se fait plus et qu’il faut changer toute l’installation ;
  •  supporter que votre compteur électrique communicant Linky, comme votre box d’accès à internet, permettent à des tiers, comme les opérateurs et leurs kyrielles de sous-traitants, de savoir en temps réel si votre logements est occupé ;
  •  être obligé de monter très rapidement sur un escabeau pour changer immédiatement la pile en fin de vie d’un détecteur de fumée qui fait en continu un bruit strident ;
  •  passer plusieurs jours à décrypter, sans l’aide de la notice introuvable, le fonctionnement spécifique de la commande du four de la cuisine d’un gite que vous avez loué pour l’été ;
  •  enfin, ne pas pouvoir rentrer dans votre chambre d’hôtel dont la serrure est uniquement commandée à distance par une tablette murale qui vient d’être victime d’un bug logiciel.

Pourquoi cet engouement à mettre une multiplicité de puces électroniques chez soi et à rêver d’une « smart home »?

La sur-numérisation croissante du logement est évidemment le résultat du culte de l’innovation. La domotique est présentée comme un progrès et une amélioration du quotidien en fournissant des outils :

  •  pour optimiser ses consommations énergétiques et améliorer le confort du chauffage ou de la climatisation ;
  •  pour sécuriser les accès par la vidéosurveillance, par les serrures connectées ou par les motorisations de portes, volets ou fenêtres ; 
  •  pour régler l’éclairage ;
  •  pour automatiser les activités de ménage, de soin corporel ou de cuisine ; 
  •  pour produire des contenus audiovisuels.

Les outils les plus complexes relèvent de la domotique connectée qui propose à distance de piloter les équipements de votre logis et de « prendre soin de vous ». Ces outils mobilisent en interne à votre logement des capteurs et des objets communicants et vos réseaux personnels, notamment WiFi ou Bluetooth. Ils utilisent, en externe, les accès à vos réseaux de télécommunications fixes ou mobiles. Vous les commandez grâce à des applications logicielles sur vos smartphones ou sur des tablettes et vous pouvez même les piloter par commande vocale ou reconnaissance faciale. Mais surtout ils utilisent des plateformes externes qui collectent vos données et qui sont exploitées par de multiples prestataires de services qui s’immiscent dans votre vie.

Bien sûr les majors américains du numérique proposent de nombreux objets connectés et des logiciels pour une « maison qui simplifie votre quotidien » : des enceintes, des détecteurs, des caméras, des thermostats. Depuis des décennies, le « Consumer Electronic Show », ou CES, de Las Vegas est le temple mondial de la présentation de cette profusion d’innovations de rupture « si indispensables à votre bien être ». Sur le créneau de la domotique, il a par exemple été possible de voir ces dernières années des équipements aussi révolutionnaires, pseudo-intelligents et indispensables que le réfrigérateur qui décide de vos réapprovisionnements, les toilettes qui analysent vos urines, la poubelle qui gèrent vos déchets, le scanner d’avocat ou de fraise qui vous informe de leur maturité, l’arroseur de pelouse qui décide de ses interventions ou les étagères de jardinage qui autogèrent la croissance de vos légumes.

Mais face à cette explosion d’innovations électroniques domestiques et aux raisonnements en silo de leurs promoteurs, il est impératif de regarder la domotique de manière globale afin de prendre conscience de sa toxicité, de ses fragilités comme de ses dangers induits.

1) La première dangerosité de la prolifération des puces électroniques à domicile est évidemment, ce qui n’est jamais assez répété, d’accélérer l’asservissement total de l’homme à l’électricité et son enfermement instantané dans une prison dès la moindre coupure électrique, qu’elle résulte d’incidents techniques ou d’actions malveillantes. Quelle que soit en France la fiabilité d’EDF et de sa filiale Enedis grâce à leur culture de la haute performance technique et de la sécurité, faut-il imaginer d’équiper chaque logement d’un groupe électrogène pour assurer une seconde source et une permanence d’approvisionnement électrique, comme dans les hôpitaux ?

Cette fragilisation du logement par la domotique et la dépendance croissante de tous les instants à l’électricité qu’elle génère est d’autant plus grande que le secteur de la production électrique connaît une tendance à l’émiettement au-delà de l’opérateur public et, corrélativement, à la déprofessionnalisation.

Par la double pression du concept de « réseaux d’électricité intelligents ou « smart grid » permis par le numérique et par la mise en avant d’objectifs écologiques, une diversification anarchique de la production électrique est en cours. Les techniques de production locales sont encouragées, comme avec l’éolien, la biomasse, le solaire, la micro-cogénération et le petit hydraulique. La prolifération de batteries, comme celles des voitures électriques, est vantée comme vecteur de capacités de stockage. Un tel émiettement, non validé par une coordination et un pilotage professionnel et permanent, expose l’approvisionnement électrique des foyers à des pertes de continuité de service.

Cet asservissement de nos logements à l’électricité crée des dangerosités annexes. Les réseaux électriques, exigeants en termes de sécurité, se ramifient dans tous les recoins des habitations. Il est par ailleurs actuellement constaté une augmentation des départs de feux domestiques induits par la multiplication de la présence de batteries dans les logements : celles des trottinettes, des vélos électriques, des outils de bricolage et des machines domestiques.

2) La seconde dangerosité de la domotique est la drastique diminution des durées de vies des matériels et des équipements de nos habitations. Un toit en ardoise, en tuile ou en zinc, comme des fenêtres en bois, se refont, grosso modo, tous les 50 ans. Or la durée de vie courante d’un équipement électronique et de ses accessoires de commande n’est que de l’ordre de 5 ans. Et je ne parle pas de la durée de vie des logiciels numériques qui font l’objet de mises à jour continuelles. Et je ne parle pas non plus de la faible durée de vie des piles et batteries utilisées pour s’affranchir de la connexion au réseau électrique.

La dissémination des piles et des batteries dans le logement multiplie les contraintes d’entretien et de maintenance. Le changement régulier des piles est, bien que fastidieux et malgré une diversification des modèles, généralement simple. Mais en matière de batterie, c’est un tout autre contexte, sans aucune standardisation. Chaque fournisseur d’équipement électroportatif fixe ou mobile du foyer offre des batteries propriétaires aux formes et aux caractéristiques électriques spécifiques. La batterie devient un formidable levier de vente forcée, de renouvellement accéléré et d’enferment commercial de l’usager.

Quelle régression humaine que ce court-termisme de la part de la domotique alors que règne dans le bâtiment la culture de la garantie décennale !

3) La troisième dangerosité de l’automatisation de nos logements est la conjonction d’une prolifération des normes et des standards et d’une absence d’interopérabilité entre les systèmes. La domotique est une jungle numérique alimentée par des acteurs d’horizons multiples et aux finalités hétérogènes. La domotique est un secteur qui ne dispose pas des forces unificatrices et normalisatrices. Faudra-t-il un Directeur des Services d’Information dans chaque logement, voire chez chaque syndic de copropriété ?

4)  La quatrième dangerosité de la domotique est la grande disparité des commandes et des logiciels à manipuler par les utilisateurs. Il en résulte une difficulté d’appropriation pour l’usager, a fortiori dans les cas d’occupation temporaire de logement. Par cette grande disparité des interfaces homme-machine, la domotique ne peut que générer des gaspillages de temps et être un nouveau vecteur de fractures numériques.

5) La cinquième dangerosité de la domotique connectée vient d’une offre de produits assise sur des motivations exogènes aux intérêts des occupants des logements : la recherche de gain de productivité interne d’opérateurs, la création de plateformes externes de services et surtout la collecte systémique de données et d’informations personnelles. Ainsi Google est actif en domotique. Ainsi le compteur Linky, présenté comme favorisant la transition écologique et le confort des foyers, a comme motivations le relevé automatique des consommations sans l’intervention physique d’un technicien et la mise en concurrence entre fournisseurs.

6) La sixième dangerosité de la domotique est d’être un secteur technique qui n’est pas mis en œuvre par des opérateurs à vision globale et de long terme des préoccupations des usagers. La domotique n’en est qu’au stade temporel de la vente ponctuelle d’équipements ou de services spécifiques. La domotique n’est pas structurée autour de fonctions capables d’assurer la surveillance, la maintenance et la sécurisation de tous ces dispositifs électroniques disparates, d’usage complexe et à obsolescence rapide.

7) Pour terminer, la septième dangerosité de la domotique est évidemment celle des risques d’intrusion dans les vies personnelles et de marchandisation des données individuelles. Attendons de voir ce que va devenir la domotique en Chine dont le secteur cherche actuellement à s’inter-opérer !

Il y a une véritable digitalocracie autour du logement, poussée par les intérêts des acteurs de l’offre, par leurs discours marketing enjôleurs et par le culte de l’innovation.

 La dernière édition de janvier 2023 du Consumer Electronic Show, dont le thème était « la technologie pour un avenir meilleur », fournit deux enseignements.

Le premier interpelle. Au CES 2023, la France s’est montrée exclusivement centrée sur l’offre de « tech ». La communication nationale a cultivé la double fierté d’une qualification de « délégation internationale la plus importante, avec la présence de 170 start-up » et d’un titre remis au Ministre chargé de la transition numérique et des télécommunications de « Innovation Champion ». Quelle vacuité que cette vision monomaniaque du progrès technique sans aucune trace de questionnement des risques pour l’homme de la sur-numérisation de nos espaces de vie !

Le second est encourageant. Le CES 2023 n’a en effet pas donné de place importante à la domotique et a préféré mettre en valeur tout ce qui touchait aux machines mobiles, voitures électriques, drones et robots. Cela révélerait-il une prise de conscience des risques sur notre psychisme et notre humanité de la prolifération dans nos environnements intimes de tous ces objets électroniques qui nous dispensent de l’usage de nos mains et de notre corps ?

En 2023, la domotique présente trop de fragilité et de contradiction pour être autre chose qu’un mythe de progrès. Elle risque de le rester si aucun traitement collectif et sincère d’encadrement de ses dangerosités ne s’engage rapidement.

En guise de conclusion, permettez-moi de vous proposer un nouvel exercice de retour à la simplicité. N’oubliez pas de mettre dans vos armoires des feuilles de laurier sauce, geste efficace contre les mites au logis.